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La Cour d’appel affirme la décision annulant le projet de loi 124

12/02/2024

Le contexte du Projet de loi 124 (la « Loi ») est décrit dans notre mise à jour qui a suivi la décision de la Cour supérieure de justice invalidant la Loi. Nous y résumons la situation comme suit :

The Ford Government introduced Bill 124 in June 2019. After limited debate and perfunctory committee hearings, the legislation was passed in early November 2019. It imposed a series of 3-year “moderation periods” in the form of salary and compensation caps on a variety of public sector unionized and non-unionized workplaces. During these periods, increases to both salary rates and to existing or new compensation requirements (including salary rates) were capped at 1% per year, subject to certain exceptions.

Après que le juge de première instance a conclu que le Projet de loi 124 violait l’article 2(d) de la Charte d’une manière qui ne pouvait pas être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte, l’Ontario a porté appel de cette décision auprès de la Cour d’appel de l’Ontario. Après une audience en juin 2023, la Cour d’appel a rendu sa décision le 12 février 2024.

Le cadre pour évaluer des violations de l’alinéa 2(d) de la Charte dans les affaires impliquant des lois imposant des restrictions salariales

La Cour d’appel a suivi le cadre pour évaluer de tels cas de violation de l’alinéa 2d) établi par la Cour suprême du Canada. Il s’agit d’examiner :

  1. L’importance du sujet sur lequel la loi ou la mesure gouvernementale porte atteinte, de telle sorte que l’entrave à la négociation sur cette question affectera la capacité des syndicats à poursuivre collectivement des objectifs communs.
  2. La manière dont la mesure a une incidence sur le droit collectif à la négociation et à la consultation de bonne foi.

En abordant cette analyse, la Cour d’appel a insisté sur le fait que chaque cas serait une enquête contextuelle et spécifique aux faits. Ce point est particulièrement important, étant donné que les décisions antérieures des cours d’appel portant sur les lois imposant des restrictions salariales, qui découlaient tous des contestations de la Loi sur le contrôle des dépenses (LCD) par le gouvernement fédéral en 2011, ont tous conclu que la LCD ne contrevenait pas à l’alinéa 2(d) de la Charte.

La Cour d’appel a conclu que ces décisions antérieures n’avaient pas « suggest[ed] that wage restraint legislation is compliant with s. 2(d) per se if it has specified characteristics », un élément central de l’argument avancé par le gouvernement de l’Ontario en défense du projet de loi 124. La Cour d’appel a plutôt déclaré que les tribunaux devraient « look at the circumstances under which the legislation was passed, the content of the legislation and the impact of the legislation on collective bargaining in the particular circumstances of the case to determine whether the legislation constitutes a substantial interference. »

En particulier, la Cour d’appel a déclaré qu’il y avait des caractéristiques spécifiques de la LCD qui avaient mené les tribunaux à conclure que celle-ci était constitutionnelle :

  • le fait qu’elle ait été imposée à la suite de la crise économique de 2008 ;
  • le fait qu’elle imposait des augmentations salariales similaires à celles prévues dans des accords conclus suite à la négociation collective ;
  • le fait que la LCD ait été imposée après une période de négociation relativement longue; et
  • le fait que, dans certains cas, la LCD permettait encore aux syndicats de rouvrir leur convention collective pour négocier des augmentations salariales ou d’autres questions importantes.

Dans cette analyse, bien qu’elle ne l’ait pas dit explicitement, la Cour d’appel a clairement rejeté l’approche adoptée par la Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt 2021 de Manitoba Federation of Labour. La Cour d’appel de l’Ontario n’a pas partagé l’avis de la Cour du Manitoba selon lequel les lois imposant des restrictions salariales pour des périodes de temps limitées sont toujours conformes à l’alinéa 2(d) de la Charte, estimant au contraire, qu’il fallait procéder à une enquête contextuelle dans chaque cas.

Application au Projet de loi 124

En appliquant ces principes, une majorité du panel à la Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle le Projet de loi 124 violait le droit à la négociation collective garanti à l’alinéa 2d) de la Charte. Un juge du panel était dissident.

La première étape de l’analyse, qui consiste à évaluer l’importance de la question pour le processus de négociation collective, n’a pas été contestée par l’Ontario. La Cour d’appel a souscrit à la jurisprudence antérieure selon laquelle les salaires et la rémunération sont des questions d’une importance centrale pour la négociation collective.

La Cour d’appel a ensuite conclu que le Projet de loi 124 constituait une ingérence substantielle dans le droit à la négociation collective, en se fondant sur les faits suivants :

  • Il n’y avait pas de preuve qu’il restait peu à gagner en poursuivant la négociation collective. En revanche, dans de nombreux, voire la plupart, des cas, aucune négociation collective n’avait même été entamée avant l’adoption de la Loi. Dans le secteur de l’éducation en particulier, la Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle « the commencement of education sector bargaining was a key consideration with respect to the timing of the Act ».
  • Il n’y a pas eu de véritable consultation avec les syndicats avant l’introduction de la Loi.
  • Contrairement aux décisions antérieures en vertu de la LCD qui permettait toujours aux parties de négocier d’autres questions importantes, la définition large de la « rémunération » dans le Projet de loi 124 – qui s’appliquait à tout type d’avantage ou de compensation qui pouvait être monnayé, comme les jours de maladie, les jours de vacances et d’autres avantages – a considérablement limité les domaines qui restaient disponibles pour la négociation. Cela a également empêché les syndicats d’utiliser les questions de rémunération comme éléments de négociation.
  • La disposition de la Loi permettant au gouvernement d’accorder des exemptions à son application était en fait un droit illusoire, puisqu’une seule exemption avait été accordée et la plupart des demandes étaient restées sans réponse et aucune procédure claire n’ayant été mise en place pour évaluer les demandes. La Cour d’appel a également estimé que l’argument de l’Ontario selon lequel les syndicats auraient pu demander une dérogation ne constituait pas un véritable substitut à la négociation collective.
  • Le taux de salaire fixé par le Projet de loi 124 n’était pas conforme aux taux fixés dans les conventions collectives librement négociées à la même époque.
  • Sur la base de ces facteurs, la Cour d’appel a conclu que le Projet de loi 124 constituait une ingérence substantielle dans la capacité des syndicats concernés à participer à des négociations et à des consultations de bonne foi avec leurs employeurs, et portait atteinte à l’alinéa 2(d) de la Charte.

L’article 1 de la Charte

La Cour d’appel a également convenu avec le juge de première instance que le Projet de loi 124 ne pouvait être justifié en vertu de l’article 1 de la Charte.

Pour déterminer si le gouvernement peut justifier une violation de la Charte, la Cour doit d’abord déterminer quel est l’objectif du gouvernement. Sur ce point, la Cour d’appel a convenu avec le juge de première instance que l’Ontario avait mal défini l’objectif du Projet de loi 124.

L’Ontario avait soutenu que l’objectif du Projet de loi 124 était « to moderate the rate of growth of compensation », ce qui aurait permis à l’Ontario de justifier beaucoup plus facilement une loi de restriction salariale. En d’autres termes, l’Ontario a tenté d’utiliser une logique circulaire pour soutenir que sa loi sur les restrictions salariales était justifiée afin de poursuivre son objectif important… d’imposer des restrictions salariales.

La Cour d’appel a estimé que l’Ontario ne pouvait pas définir son objectif d’une manière qui décrivait simplement la façon dont elle voulait atteindre son objectif (c’est-à-dire la restriction salariale). La Cour d’appel a plutôt convenu avec le juge de première instance que l’objectif réel du Projet de loi 124 était « the responsible management of the province’s finances and the protection of sustainable public services ». Les restrictions salariales était le moyen d’atteindre cet objectif, et non l’objectif en soi.

Cependant, la Cour d’appel a estimé que l’Ontario avait un objectif « urgent et substantiel » qui pouvait, en théorie, justifier la Loi. La Cour d’appel a estimé qu’elle devait faire preuve de retenue à l’égard de la capacité du gouvernement à poursuivre ses priorités en matière de finances et de budget, en autant que l’objectif du gouvernement puisse s’appuyer sur certains éléments de preuve.

Il est toutefois important de noter que la Cour d’appel s’est encore appuyée sur l’absence de preuve à l’effet que l’Ontario était confrontée à une situation budgétaire urgente à une étape ultérieure de l’analyse de l’article 1, pour conclure que le Projet de loi 124 ne portait pas une atteinte minimale aux droits garantis par la Charte et qu’il ne constituait pas une réponse proportionnée.

L’étape suivante de l’analyse de l’article 1 consiste à déterminer si le Projet de loi 124 avait un lien rationnel avec l’objectif de l’Ontario d’assurer « the responsible management of the province’s finances and the protection of sustainable public services ». Il s’agit d’un critère peu exigeant, qui a généralement été satisfait en l’espèce. Néanmoins, la Cour d’appel a convenu avec le juge de première instance qu’il n’y avait pas de lien rationnel entre la Loi et l’objectif dans son application au secteur de l’électricité, qui est autofinancé, ni aux universités, là où il n’y a pas de relation directe entre le financement et la rémunération versée aux employés.

La Cour d’appel a estimé que la justification de la Loi avancée par l’Ontario avait échoué à l’étape suivante de l’analyse, qui consiste à déterminer si la Loi porte une atteinte minimale au droit de négociation collective en vertu de l’alinéa 2(d) de la Charte. À cet égard, la Cour d’appel a noté que l’Ontario n’avait pas tenté de négocier des conventions collectives restreignant la compensation avant d’imposer le Projet de loi 124. La Cour d’appel a estimé qu’il n’y avait pas de preuve que la négociation serait futile, ni de preuve de « urgency or of an imminent need to impose a cap on compensation increases, such that there was no time to achieve the desired cost savings through negotiations ».

Alors qu’elle avait déjà conclu que la justification de l’Ontario échouait au test de l’atteinte minimale, la Cour d’appel a également conclu que le Projet de loi 124 échouerait à l’étape finale de l’analyse de l’article 1, puisque ses effets positifs n’étaient pas proportionnels à ses effets négatifs. La Cour a noté qu’il y avait une « absence of evidence establishing a need to proceed with expediency » ou sans d’abord essayer de négocier une modération salariale, et que :

In contrast, because of the Act, organized public sector workers, many of whom are women, racialized and/or low-income earners, have lost the ability to negotiate for better compensation or even better work conditions that do not have a monetary value.

Redressement

Enfin, bien que la Cour d’appel ait confirmé la décision du juge de première instance d’annuler le Projet de loi 124, elle a estimé que le juge de première instance était allé trop loin en décidant que le Projet de loi 124 ne pouvait pas s’appliquer aux employés non représentés. Puisqu’ils n’étaient pas syndiqués, ils ne pouvaient avoir subi d’atteinte à leurs droits garantis par l’alinéa 2d) de la Charte, qui sont réservés aux employés syndiqués.

Avocat(e)s

Melanie Anderson, Steven Barrett, Colleen Bauman, Christine Davies, Howard Goldblatt, Ben Piper, Danielle Sandhu

Expertise

Appels et contrôle judiciaire, Droit constitutionnel, Droit du travail